mardi 14 janvier 2025

Ne plus rien écrire à Tokyo ou ailleurs

Au creux de l’aube, il y avait ce silence, dense et fragile, tissé d’ombres qui couraient entre les choses. Ce n’était pas un lieu défini, mais une vibration, un espace où la réalité vacillait, bordée par des contours indécis. Ce territoire, tel qu’il m’apparaissait, n’existait ni dans les cartes ni dans les mots. Il respirait dans les formes disloquées des rues, dans les gestes ordinaires saturés d’une précision implacable.  
Les montagnes là-bas ne se contentaient pas de dominer l’horizon ; elles avalaient les rêves, les reformant en échos rugueux, presque douloureux. Ici, chaque objet portait une fonction si précise qu’elle devenait une exigence. J’y ai appris qu’une simple erreur — une ligne mal tracée, un silence mal placé — pouvait briser le fragile équilibre de l’univers quotidien.  
La lumière s’attardait comme un soupir sur les murs gris des bâtisses, glissant le long des fissures des sols tremblants. Chaque ombre, chaque silence contenait un poids, une gravité invisible qui tirait tout vers le centre de cet étrange monde. Dans ces instants suspendus, j’ai découvert l’immense vide caché derrière le bruit incessant des routines et des rituels.  
Le sol de ce lieu, chargé d’une chaleur presque oppressante, semblait pulser sous mes pieds, vibrant d’un rythme que je ne pouvais saisir. Tout ici se déployait avec une étrangeté presque douloureuse : l’éclat métallique d’un ruisseau artificiel, le frisson d’un souffle dans les branches d’arbres géométriques, les murmures des passants qui semblaient tout dire sans prononcer un mot.  
Un matin, assis face à ce paysage qui n’en était pas un, j’ai perçu ce que signifiait l’équilibre. Non pas l’absence de chaos, mais son intégration dans un ordre si précis qu’il en devenait insaisissable. Là, je me tenais, entre la pierre et le vent, témoin muet d’un monde à la fois brutal et délicat.  
Chaque jour, je m’effaçais un peu plus pour laisser la place à ce lieu, à cette réalité implacable et pourtant étrangement accueillante. Mon esprit se perdait dans le tumulte des rues et des gestes, mais y trouvait une étrange sérénité. Je n’étais plus ni d’où je viens, ni d’où je suis. J’étais dans l’entre-deux, dans cet espace invisible où les contradictions trouvent un équilibre provisoire.

samedi 11 janvier 2025

D’aucun pays - La correspondance Shirley Hazzard et Donald Keene

 

Jusqu’au début des années 80, apprendre la langue japonaise en France signifiait transiter par l’anglais. Pas de manuel de langue en français, pas de dictionnaires bilingues poids-lourds. Des noms de japonologues anglophones entretenaient le bruit de fond et décoraient les tranches de livres de la petite bibliothèque de la faculté à Paris. Tuttle était la mystérieuse et séduisante maison d’édition mythique sise à Tokyo. A Jimbocho, la librairie éponyme est devenue depuis longtemps une boutique de sacs, et peut-être aujourd’hui une mangeoire. Le non-universitaire Lafacadio Hearn, le père de la japonologie historique britannique Chamberlain, le diplomate Edwin O. Reischauer, peut-être un Donald Richie, plus certainement un autre Donald Keene sonnaient bien plus une sorte de familiarité en devenir que les rares déités francophones nommées avec respect mais dans l’ombre tel un Origas. 

A Jussieu, on portait sur les épaules un uniforme obligatoire inexpliqué de complexe d’infériorité dont les tenants et aboutissants échappaient, sentiment de diminution par rapport au lointain pays lumineux et inaccessible de Paris III. Le japonais - l’effort de s’y plonger et ne pas s’y noyer, ou plus couramment sortir du bassin en courant dépité et honteux - était un bain anglais, avant tout américain. Ce qui m’arrangeait bien comme la mystique de l’ailleurs s’en trouvait ainsi doublée. 

C’est bien plus tard que ces noms d’acteurs ont pris formes de manière bien plus nette, pour occuper le terrain mental de ce qu’est être occidental blanc au Japon. On devrait, non, on doit distinguer le blanc européen non-anglophone du blanc anglophone, massivement perçu à tord aujourd’hui comme américain. De fait, je ne lis pas en conséquence la japonologie francophone et encore moins ses sbires contemporains non-universitaires au service du fétichisme grand public. A l’ère des Donald proéminents, l’individu Richie - Le Monsieur Américain de la Dame Yourcenar  de passage deux mois au Japon devenue ainsi japonologue poético-pythique - était le plus accessible, c’est à dire le moins imposant. Avec une chronique dans le torchon stratégique incontournable Japan Times auquel il donnait une certaine noblesse, Richie exposait une lecture-analyse détachée de son être à Tokyo qui ne vous donnait pas de leçon de réussite professionnelle et libidinique. Son crédo sans trémolo était de ne pas chercher à s’attacher mais à observer sur la crête. Il aurait pu dire à ce sujet perchoir.

L’autre Donald, le Keene, n’accrochait pas par mon manque d’intérêt pour la littérature de fiction. Donald le Keen lui était pour ainsi dire la version opposée de Donald le Richie, à ceci près qu’il était un apologiste passionné de la culture japonaise, à commencer pas sa littérature - du temps où la passion n’était pas pulsionnelle marchande. Il ne mettait pas en garde, la crête ni le perchoir pour lui n’existant pas, seul le bassin où se dissoudre - devenir japonais - faisant office d’objectif absolu et strictement personnel. Deux individus prônant un individualisme forcené mais dans le calme officiaient dans le même pays - Keene surtout en mode allers-retours tel un nomade numérique avant l’heure - Richie plutôt pénard à Ueno à y faire ses courses et entretenir sa sexualité dans le parc, ou étant sollicité pour guider des personnalités qui allaient écrire sur le Japon de manière docte et définitive - le ressenti étant la vérité - bien plus que lui le résidant de longue date. 

Keene allait presque aboutir enfin à la dissolution dans le bain japonais en optant pour la nationalité nipponne suite à 2011, avec en prime l’adoption d’un fils au sujet duquel flotte une aura gênée avec sourires de connivence dont le bienfondé m’indiffère. Sur la photo de sa pierre tombale à Tokyo, on lit son nom en katakana, certainement l’aboutissement et la preuve d’une dissolution - presque - totale. 


En octobre dernier, Columbia University Press a dévoilé le livre Expatriates of No Country, The Letters of Shirley Hazzard and Donald Keene, édité par Brigitta Olubas, une spécialiste de Hazzard. Une certaine Hazzard parce que je n’avais aucune connaissance de cette autrice, mais un ouvrage épistolaire avec un titre pareil qui mérite une conférence internationale de trois jours dans un endroit charmant avec buffet ne pouvait que provoquer une énorme envie de lire cela. C’est en cours. 


Keene entre le Japon et New York, et l’Australienne Hazzard surtout à Capri, un peu comme Miller à Paris puis la Californie via la Grèce, et Durrell surtout en Grèce avant de finir en France. Dans les deux cas, mais avec des circonstances de rencontre totalement différentes, on trouve le sel du carburant qui autorise l’échange épistolaire à fonctionner longtemps : empathie, sympathie qui augmente avec le temps, intérêts communs et curiosité pas de façade pour les intérêts de l’autre, l’absence totale de hiérarchie - les leçons quand données le sont avec humilité - et les rencontres au bout de voyages qui relancent la machine à s’écrire. Mais le titre de l’ouvrage - Expatriates of No Country - interpelle tellement qu’il subjugue, en attendant d’y voir plus clair peut-être d’ici la fin de l’ouvrage. 

mercredi 8 janvier 2025

Ne plus écrire, enfin!

 


Aller, ouste, à la poubelle. Ne plus écrire, enfin! Déléguer! 

La prochaine session d’Ecrire à Tokyo aura lieu samedi 18 janvier. Il y sera question d’IA et de poésie. On y évoquera peut-être le premier distributeur IA de haïkus - sorte de malaxeur régurgiteur arrangeur de copier-coller, la dernière version prenant en compte la réduction à venir des quatre saisons exclusives du Japon en trois saisons exclusives. 

On envisagera peut-être la machine à produire des horoscopes au temple Sensoji à Tokyo, tirage préalable d’un chiffre aléatoire pour ouvrir le tiroir adéquate en attendant l’économie de papier et la livraison directe via sa boîte mail. Les énoncés horoscopiques aussi sont une forme de poésie.

Pour résister, on envisagera de remplacer dans le distributeur de viande de baleine en illustration trouvé quelque part à l’ouest de Tokyo le lard de l’animal, pièce coriace à mâcher sans fin en lamelles, un verre d’alcool favori à porté, par un volume de Moby Dick, pour lire et manger en même temps. Deux occupations encore très agréables. Quant à écrire. Non, plus jamais!

La lecture marathon annuelle de Moby Dick a eu lieu au New Bedford Whaling Museum il y a peu, du 3 au 5 janvier dernier.

jeudi 26 décembre 2024

Les bureaux secrets de「Écrire à Tokyo」

 


    
    On peut apercevoir au premier étage une fleur lumineuse ainsi qu'une vague statuette de panda. 
    Sans doute une réunion est en cours...

Photo : Lee Chapman



dimanche 22 décembre 2024

Petite cloche de quelque part


Et puis on s’essaiera à la nostalgie, loin des centres hoffmanniens de la capitale. La salle est rouge, immensément étroite. Deux têtes de vieux dépassent des sièges cassés. Une vieille dame pianiste entre deux mondes sourit avec espièglerie. L’écran nous dit que son chat est mort. Elle prend son café à l’Étoile manquante et elle a 16 ans dans un corps de vielle poupée et son sourire dit qu’elle ne peut s’empêcher de tomber amoureuse. Si elle pouvait, elle peindrait toutes les touches du piano en noir. C’est la meilleure façon de peindre, dans le noir intérieur, ses châteaux d’émotions. On ne se refait pas dans le liminal.


 

dimanche 15 décembre 2024

Ecrire à Tokyo 2025


Pays du soleil levant

4 ans

1 livre

53 sessions

Voeux pour 2025 :

Perdurer 12 sessions

Approfondir thématiques et liens

Penser et s’engager dans le volume 2 d’Ecrire à Tokyo

Développer la participation (plus de membres actifs)

S’ouvrir à des intervenants du dehors

Le livre, volume 1. En profiter avant que le tarif Livres et Brochures à l’export de la Poste Française disparaisse en 2025. Stock actuel, environ  80 copies. Voir ici pour les détails sur comment l’acquérir. L’acheter, c’est bien. Le faire connaiitre, c’est encore mieux.

Tous les détails sur Ecrire à Tokyo ici.


Garnigramme doré